Je finis par me réveiller naturellement. J'avais bien dormi et voilà que j'étais en pleine forme. Je regardais l'heure sur l'horloge de la chambre, seul objet décoratif déjà présent, et m’aperçus que seulement quinze minutes étaient passés. Mon colocataire n'était pas revenu et aucun autre n'était rentré, j'étais seul. Alors pour me remettre un peu en forme, je sortis de la chambre. J'allais faire un tour dans cette pension.

Au fil du temps, j'eus l'impression d'être déjà passé par là et lorsque j'arrivais devant le portail, je compris : j'avais refait le chemin que j'avais fais quelques heures précédemment. Comme quoi, j'étais pas vraiment réveillé.

Cette fois, je n'avais pas de sac à poser expressément quelque part, je pris donc le temps de me balader et de regarder autour de moi. Il n'y avait pas grand monde, les élèves devaient être en cours. Seul les nouveaux arrivants pouvait profiter de cette journée.

Un jeune homme blond attira soudainement mon attention, on voyait bien son côté européen, grand avec ses yeux bleus, il avait quelque chose. Il avait l'air de ne pas trop savoir où aller, ou peut-être attendait-il quelqu'un. Je n'étais pas très loin et j'avais pris des résolutions, sans trop réfléchir je m'avançais. Je savais pas très bien comment engager la conversation mais il n'avait pas l'air méchant. Finalement d'une voix légère je finis par le saluer.

Salut.

Le contraste était frappant, lorsqu'il s'est retourné, je me suis toute de suite dis qu'on ne venait pas du même monde. Moi, j'avais rien contre, à vrai dire j'étais ni très riche ni très pauvre. En fait, comme tout ce qui était matériel m'importait peu, l'argent, je l'économisais depuis tout petit, ça me servait pas à grand-chose. Finalement j'étais peut-être riche aussi. Mais lui, je me demandais si ça lui faisait le même effet.
Il finit par me répondre, je m'attendais au pire.

Salut. Je viens tout juste d’arriver en voiture de l’aéroport mais mes bagages ne sont pas encore là … C’est ça le problème avec les longs voyages. Tu ne saurais pas où est le bureau de la directrice ou les chambres par hasard ?

Comme si ce n'était pas écrit sur son front, ça s’entendait en plus dans ces paroles. J'osais pas rigoler, j'étais un peu tendu. Je me demandais s'il se retenait. Parce que ça devait se voir que j'étais pas de son monde.
Alors que j'allais lui répondre, il s'étira. Monsieur avait fait long voyage, il devait s'en remettre. OK, je me calme, on a dit qu'il n'avait pas l'air méchant. Et puis fallait que je me fasse quelques connaissances. Sarcasme, rayé de ma liste.
Une drôle de carte tomba de sa poche. Comme un réflexe j'me suis baissé. J'aime pas perdre mes affaires, je suppose que c'est comme tout le monde, et mine de rien je connais la politesse.
J'ai pas eu a regarder la carte longtemps pour comprendre ce que c'était.
Me relevant aussi vite que j'étais descendu, je lui tendis sa carte, un sourire aux lèvres.
Il souriait aussi, comme s'il savait que comme première impression, on ne pouvait pas faire mieux.

Il reprit assez vite la carte, j'étais un peu étonné qu'il ne s'en vante pas. C'était pourtant le stéréotype du bourgeois. Remarque, ça m'arrangeait bien. Qu'il ne parle pas.
Alors il me tendit sa main.

Désolé, je ne me suis pas encore présenté. Je m’appelle Kenji, Kenji Richmont. Ravi de rencontrer enfin quelqu’un dans ce pensionnat.

Tiens donc, quel hasard ! Richmont Corp. aurait-elle un quelconque rapport ? Avant de lui prendre la main, je hochais la tête, comme pour moi-même, laissant échapper ces quelques mots :

Ah oui..

Sûr qu'il avait entendu, je repris un léger sourire. Lui serrant la main, je me présentai à mon tour :

Koichiro Satou.

Petite pause. Je laissais à mon interlocuteur quelques secondes pour imprimer mon nom.

Je ne te précède que de quelques heures hélas, je ne peux te mener qu'aux chambres.

Sa question était resté sans réponse, qu'il ne pense pas que je l'avais oublié. La carte ne m'avait distrait qu'un instant. J'étais maintenant à sa disposition, si monsieur voulait bien me suivre.
Et ce n'était pas ironique !

Ma réponse devrait lui suffire, enfin je l’espérais parce que je n'avais pas tellement envie de parler. Précisément, de raconter ma vie. Mon passé. Alors il finit par me répondre. Il avait marqué une petite hésitation, je me demandais ce qu'il allait me dire.

Je ne sais pas tellement comment t'annoncer ça le plus doucement possible, donc si j'étais toi je m’assiérai bien confortablement par terre. Alors, oui mon nom a un rapport avec la Richmont Corp. puisque je dois en hériter dans 3 ans si tout se passe bien, mon nom complet est Lord Kenji Richmont, je suis classé dans le top 5 des plus grosses fortunes du monde dans la catégorie 18 ans et moins ah et pour finir je ne connais absolument pas le montant exacte de cette dite fortune mais il doit y avoir 10 chiffres avant la virgule... enfin je pense.

Non mais c'est pas vrai ! Et dire que j'ai vraiment eu peur ! Je m'attendais à la révélation du siècle. Oui il était riche et célèbre mais il aurait pu être roi que ça n'aurait rien changer. Je restai impassible. Comment pouvait-il en être si fier ? J'étais persuadé que les répliques aussi idiotes que celle-là n'était présente que dans les films. Il faut que croire que certaines personnes sont vraiment, de pure race, des stéréotypes.

Il se mit à rire, je me demandais pourquoi, il semblait heureux. Si j'avais été sa place j'aurais honte de ma situation, je ne m'afficherai jamais comme lui. Alors il me dit en souriant :

Tu peux vérifier sur Internet dès que tu as le temps si tu veux, je t'assure que je ne mens pas.

Comme si je n'avais que ça à faire ! Le monde ne tournait pas autour de lui ! C'était l'inverse même, le monde fait tout pour fuir ce genre de personne ! J'étais vraiment mal tombé. Et dire que je le trouvais sympathique. Je me suis fait avoir en beauté.

La prochaine fois que tu dis à quelqu'un que tu vas lui annoncer une énorme nouvelle, tu devrais le faire. Là, je l'avoue, tu m'as eu, j'ai eu peur, mais c'est pas un coup à faire à tout le monde.

J'allais partir, mais je me suis retenu. Je pouvais pas le planter là. Je devrai le supporter quelques instants de plus.

Il s'était à son tour plongé dans des réflexions. Pourvu qu'il ne recommence pas ! Je commençais à réfléchir à une excuse pour partir. Si je n'en trouvais pas, après tout, je me contenterais de partir. Ce sera mieux ainsi. Il gardait son sourire, mon attente s’accentuait. Alors il me dit :

Tu sais que tu es quelqu'un d'original. Ne m'en veux pas trop si je t'ai dit tout ça. Ce n'est pas pour me vanter... c'est pas vraiment mon genre. En Angleterre la Richmont Corp. est très connue et tous ceux qui étaient mes amis ne voulaient, en réalité, que mon argent. Alors depuis, je dis tout de suite qui je suis, comme ça je peux voir la réaction des gens et connaitre leurs attentes. Celui qui est intéressé par ce que j'ai n'aura pas la même expression que celui qui ne veut qu'être mon ami.

Il finit alors sa tirade, me laissant le temps d'accuser le coup. Alors que j'allais répondre, il reprit, interrompant le fil de mes pensées.

Je suis désolé si je t'ai froissé. Tu ne vas surement pas me croire mais il n'y a pas si longtemps j'ai failli donner tout mon argent et Richmont Corp. C'est la dernière famille qu'il me reste qui m'en a empêché... Si je suis ici c'est juste pour m'amuser, trouver des amis et changer d'air... m'éloigner d'un monde que je n'aime pas mais que je suis obligé de fréquenter.

S'il attendait que maintenant je m'apitoie sur son sort et que je pleure, il allait attendre longtemps. Par habitude je ne fais pas naturellement confiance aux gens, alors là, il devrait me convaincre !

Mais je me retrouvais dans une sale affaire, j'avais plus rien à dire maintenant ! J'allais pas lui faire la fleur de compatir parce qu'il était riche. Finalement j'allais au plus simple :

OK.

C'était significatif, je lui donnais une autre chance. Qu'il le comprenne comme il veut, j'avais fait, pour ma part, un effort. J'attendais de lui qu'il ne recommence pas à se vanter d'une condition, que, personnellement, je ne trouvais pas même enviable.

Alors que j'hésitai à partir, que je me voyais déjà repartir, cherchant peut-être une légère excuse, il disparut sous mes yeux. Il s'était assis en tailleur, mais sa chute me fit un drôle d'effet. Il y avait devant moi, l'un des plus jeunes riches de, je ne sais pas, du Japon, du monde, peu m'importait, qui s’asseyait par terre ! C'était un drôle de tableau, que j'appréciais à sa juste valeur !

Tu sais si tu ne veux pas me parler ce n'est pas un problème. Je dois attendre encore attendre mes valises... si elles ne se sont pas perdues en cours de route. J'ai donc tout mon temps pour essayer de te faire parler et savoir ce que tu penses de moi.

C'était pas mon genre de planter les gens. Mais je ne voulais pas raconter ma vie. Encore moins à ce drôle de type. Enfin, sans me l'expliquer à moi-même, je m'assis à ses côtés. Et oui, je décidai d'attendre avec lui. Alors levant la tête, je regardais le ciel bleu. Finalement, je me lançai.

Ma mère est morte lorsque j'avais 8ans et mon père ne s'en est jamais remis. J'ai juste décidé de changer d'air.
Maintenant, tu peux me faire parler d'autre chose ?

J'avais plus rien à dire à mon sujet. J'attendais de lui qu'il remarque au moins ma franchise et que, par respect, il m'épargne une curiosité mal placée. Je sentais quelque part, que je pourrai bien m'entendre avec lui. Mais je faisais pas dans le sentimental. J'avais besoin de tranquillité et ça, je le sentais pas.

Maintenant que j'étais assis, j'étais un peu plus détendu. Je commençais à m'habituer à sa présence et je me disais que, peut-être, je dis bien, peut-être, je n'étais pas obligé de partir aussi vite. J'ai toujours eu de mal à rester avec une personne trop longtemps, en fait, plus de quelques minutes, c'est déjà trop. Comment dire, la plupart des personnes m'énervent assez vite. Alors, là, un petit espoir venait de naitre. Je ne pouvais pas savoir que j'avais eu tort de m'être assis si vite.

Dire que je comprends ce que tu ressens serait faux, toutes les douleurs sont différentes, mais je peux imaginer ce que tu vis.

Aucune réaction de ma part.

Ta vie a été plus dure que la mienne, tu n’as pas eu de chance d’une certaine façon de ne perdre qu’un parent. Je sais que ça doit te paraître révoltant que je dise ça mais de mon point de vue, il vaut mieux ne perdre aucun parent ou les deux en même temps. Ne vivre qu’avec ton père et le voir souffrir de la perte de ta mère, je ne pense pas que j’aurai pu subir ça.

OK, là, c'était trop. J'avais dit quelque chose comme, on peut changer de sujet ? Non parce que, premièrement je voulais pas m'étaler, et deuxièmement, je voulais pas qu'il s'étale. Je bouillais de l’intérieur, il a vraiment cru que j'essayais de le faire là ? Et puis il me faisait quoi en me donnant son avis ? Je ne lui ai rien demandé !

Je ne pense pas que l’information soit arrivée au Japon, mais j’ai moi aussi perdu mes parents il y a 10 ans. Une sombre affaire sur fond de règlement de compte en famille digne de la mafia sicilienne. Le fait est que c’est ma soi-disant famille qui m’a trahit, j’ai eu mal mais je ne voyais personne souffrir autour de moi alors la douleur est partie plus vite. Mais la douleur ne part jamais complètement, elle se transforme et devient quelque chose de plus horrible. Désormais je ne souffre plus de cette perte, j’ai soif de vengeance contre tous ceux et celles qui ont voulu la mort de mes parents.

Allez, une autre tirade qui n'en finit plus ! Non, vraiment là, si je partais c'était pour son bien. On était peut-être deux à avoir eu une enfance pourrie mais moi, j'étais pas ici pour plaindre, pour faire pitié ou pour je ne sais quelle autre raison pathétique. J'y allais certainement trop fort mais je ne pouvais pas en supporter plus.

J'ai pas pris mon temps, je me suis levé, je l'ai regardé et j'ai pas marmonné. J'ai essayé de pas trop lui faire de peine, je sais quand même c'est un point sensible. Mais je devais partir.

Je me demande ce que tu feras après.

J'attendais pas de réponse, j'en voulais pas en fait. Alors je suis parti. J'allais voir ailleurs si je trouvais mieux. J'avais besoin de silence. Je le reverrai surement plus tard. Ou pas.