Cette matinée filait en rien de temps et Nanako n'en perdait pas une minute. Ses valises déposés dans sa chambre, son petit tour au-dehors du pensionnat effectué, il ne lui manquait plus qu'à se promener dans les bâtiments avant d'aller manger. Il devait être entre dix heures et onze heures. Alors, c'est ce qu'elle fit. De son pas léger, avec un sourire aux lèvres et sa bonne humeur habituelle qu'elle n'avait pas perdue, elle entra dans l'un des bâtiments. Il était grand et spacieux, enfin, comme les autres bâtiments surement ! Nanako le détailla un moment et puis doucement elle se mit à monter les étages, regardant par les fenêtres du couloir et s’arrêtant quelques instants. Combien d'étage y avait-il ? Pouvait-il y avoir une sorte de grenier ? Un toit peut-être ?

Le paysage devenait plus petit au fur et à mesure de sa montée, et le sourire de Nanako s'agrandit. Elle accéléra, montant les escaliers deux par deux et puis quatre par quatre. Elle arriva alors devant une porte. Elle se stoppa net. Les escaliers s’arrêtaient devant cette porte mystérieuse, qui l'attirait. Poussée par la curiosité, elle abaissa la poignée doucement. Ouvrant la porte dans un petit grincement, elle découvrit le toit du bâtiment.

Elle ne prit pas même la peine de fermer la porte derrière elle. Elle courut jusqu'au bord. Derrière la porte encore à moitié ouverte, devant elle, le pensionnat qui s'étalait sous ses yeux. Elle ne put retenir une exclamation :

Quelle vue magnifique !

Son sourire était immense et ses yeux pétillaient. Debout devant ce tableau, une brise légère faisant voler et sa robe et ses cheveux, elle était en plein rêve. C'était pour un elle un moment magique, comme elle les aimait. Doux et calme.

Fermant les yeux paisiblement, elle monta ses bras qui étaient le long de son corps, à la verticale. Se laissant porter, elle s'évadait dans ses pensées. Elle aurait voulu rester ainsi plus longtemps. Elle se sentait si légère et le vertige l'enivrait !

Je marchais dans la cour du pensionnat à la recherche de panneaux ou indications pour aller voir la directrice de cet endroit quand je vis un bâtiment. Je l’avais déjà vu de loin mais là je pouvais admirer ses étages et sa hauteur. C’était vraiment un très bel ouvrage, je me demandais bien quelle entreprise avait pu le faire. Après un instant de réflexion je me dis que le bureau de la directrice pouvait s’y trouver. Je poussai donc les portes et arpentai les étages. Aucune trace de mon but néanmoins je continuais à monter. Une envie irrésistible me poussait à grimper les marches une par une. Arrivé devant une porte je senti de l’air. Un très léger courant d’air. Ce pouvait-il qu’il y ait un accès vers le toit ? Je saisis la poignée de la porte dans la pénombre du couloir et je la poussai. Une lumière m’éblouit, il y avait bien un toit plat, et on pouvait y accéder. Mes yeux s’adaptèrent à la lumière du soleil et je marchai un peu. Je me postai au bord du toit, à mes pieds s’étalaient le pensionnat, grand, moderne, si magique.

Le vent était léger, il apportait des senteurs très différentes : des essences d’arbres, de goudron chaud et de fleurs. De là où j’étais je pouvais voir la route, cette même route que j’avais emprunté pour arriver jusqu’ici. La Rolce Royce qui m’avait emmené avait disparu depuis longtemps. Au fond de moi je me demandais si j’avais fait le bon choix de venir ici. Ces personnes devaient être bien trop différentes de moi à bien des égards. Ils n’étaient pas milliardaires (loin de là à mon avis pour la plupart), ne connaissaient pas la culture anglaise ou si peu, n’avaient aucune référence en matière de fête ou d’art et par-dessus tout ils étaient fortement irritables et ennuyeux. C’était une conclusion hâtive après n’avoir rencontré qu’une personne, mais je ne voyais pas comment cela pouvait être autrement.

C’est alors que pour une raison obscure je me retournai. Je vis une jeune fille de dos dans une position assez étrange, genre Titanic « Je suis le roi du mooonde » … Je toussai un peu et dis :

- Bonjour mademoiselle.

Sous la brise légère qui lui donnait une impression impériale face à cet immense pensionnat, la bonne humeur de Nanako était revenue. Elle était bien plus qu'enjouée et le sourire aux lèvres, elle priait que pour cet instant dure toujours. Et sur cette pensée irréalisable, Nanako entendit un toussotement.

Elle se retourna furtivement, faisant valser et sa robe courte et ses longs cheveux. Elle faisait désormais face à son interlocuteur. Un beau jeune homme blond qui semblait étranger. Peut-être était-il Américain ? Anglais ? Ou tout simplement européen. Nanako ne se posa pas longtemps la question, elle passa à d'autres, bien plus intéressantes : qui était-il ? Que voulait-il ? L'accès au toit était-elle autorisée ? Bien des questions trottaient dans sa tête lorsque le jeune homme la salua :

Bonjour mademoiselle.

Enchantée par cette magnifique rencontre et ce salut bien aimable, Nanako sourit à l'adresse de son interlocuteur et hochant légèrement la tête en signe appuyé, elle lui salua à son tour :

Bonjour.

Doucement elle s'approcha de l'inconnu et arrivée près de lui elle se met à ses côtés. Elle observa de nouveau la vue incroyable qu'elle avait d'ici, avant de la faire confirmer au nouveau venu. Certes elle ne savait pas pourquoi il était là, mais si c'était pour ce paysage, il ne devait certainement pas être déçu, ce qu'elle tenait tout de même à savoir.

N'est-ce pas là un agréable endroit ?

Elle souriait tendrement, toute heureuse par ce tableau merveilleux. Et elle parlait tout autant du point de vue que de l'endroit et du jeune homme. Nanako aimait les belles personnes, sûrement n'était-elle pas toutes sympathiques mais la vue agréable d'une charmante personne la mettait obligatoirement de bonne humeur, et étant en ce moment même déjà toute légère, elle n'espérait plus qu'être tombée sur un homme aussi charmant à l'intérieur qu'à l’extérieur. Nanako ne se faisait pourtant pas beaucoup d'idées, elle avait bien trop souvent été trompée par les apparences, mais celles-ci sont si séduisantes qu'elle avait du mal à y résister et partait toujours de bons pied avec un inconnu, elle ne pouvait se permettre de penser à mal d'une personne qui n'avait encore rien fait.

La jeune fille resta un instant à me dévisager. Elle n'était pas discrète mais je ne dis rien, la laissant tranquillement m'observer. J'en avais l'habitude. Peut-être aussi qu'elle me reconnaissait. Mais je ne l’espérais pas, j'étais venu ici pour être un peu plus tranquille. Elle finit par me sourire et par me saluer, je ne m'y attendais plus.

- Bonjour.

C'était simple et peu constructif. Je ne pris pas la peine de faire suivre la conversation, pensant qu'elle retournerait à ses occupations contemplatives lorsqu'elle s'avança vers moi. Je n'étais pas méfiant mais je me demandais tout de même ce qu'elle allait faire. Elle se plaça à mes côtés et se plongea de nouveau dans le silence. Cette fille me semblait bien étrange, j'étais là, à côté d'elle, et elle prenait son temps, sans trop se soucier de moi.

- N'est-ce pas là un agréable endroit ?

Elle revenait enfin à moi. J'allais lui répondre lorsque mon téléphone portable sonna. Chic mais surtout très ostentatoire, il ne passait pas inaperçu. Je ne pris pourtant pas la peine de le cacher.

- Oui ?

C'était Hiro, le majordome de mes parents, celui-là même qui a repris mon éducation. Il voulait absolument me faire rentrer. Il me dit qu'il m'avait gardé une place à l'université d’Oxford. Il avait toujours été contre mon départ au Japon mais j'avais cru le convaincre. Au moins pour une année.

Je refusais d'entamer une discussion qui tournerait surement en une horrible dispute devant quiconque. C'est donc silencieusement, et sans un au-revoir pour la demoiselle que je partis.