Élancé comme un roseau, Shou est grand, mince et souple. Il aurait pu paraître chétif, s'il ne possédait pas des épaules carrées et des muscles finement dessinés. Sa peau, trop pâle au regard de certains, aurait pu lui donner un air maladif, s'il n'avait pas ce regard malicieux et pétillant. Car ses prunelles, entourées de sombres iris, reflètent un éclat de vie étonnant. Ses yeux bridés émettent un regard intense, qui attire ou embarrasse les personnes l'entourant ; c'est selon.

Ses cheveux aile de corbeau se répartissent en épaisses mèches, tombant éparses et rebelles sur son front et l'arrête fine de son nez, chatouillent ses épaules et sa mâchoire. Menton pointu. Il possède des lèvres rosées, pleines, qu'il apprécie de cacher sous une masse de tissu, des masques divers et généralement volumineux. Ses pommettes sont assez hautes, et ses sourcils fins. Un visage en veux-tu en voilà, classique dans l'univers du "mignon" et du "passe-partout".

Ses paumes, grandes et étroites, sont assez chaudes mais sèches au toucher. Ses doigts semblent squelettiques, paraissent idéaux pour les travaux manuels délicats. Poignets fins, dits "de gonzesse". Pourtant, quand on l'énerve, Shou sait se servir de ces poings. Et cela peut en surprendre plus d'un, tant il n'en impose pas physiquement. Au contraire, malgré sa grande taille, il se faufile discrètement partout. On sent sa présence, son aura douce mais observatrice, mais on ne le repère pas facilement. Il se fond dans le paysage... généralement.

Car il ne met jamais personne à l'abri d'une petite folie vestimentaire. Un coup, ça sera un pull orange en plein hiver, un coup ça sera une coiffure digne de celles des X Japan. Son look peut varier du jour au lendemain, tout comme rester discret et banal quelques semaines. Il faut savoir qu'il porte ce qui lui plaît, quand ça lui plaît.

Shou, c'est le garçon qu'on ne perçoit pas forcément du premier coup d'œil. Celui qui s'assit machinalement à son pupitre, au centre de la classe. Celui qui ne passe pas dix minutes sans pianoter quelque chose sur son cellulaire. On pourrait croire à un garçon timide qui ne veut pas se faire remarquer. Or, la discrétion est essentielle pour obtenir ce qu'il veut. Rumeurs, aveux, murmures et confidences, rares sont les petits secrets qui lui échappent. D'une part car il a l'ouïe fine, d'autre part car sa curiosité le rend très attentif.

Il se concentre sur son interrogation, lorsqu'un petit papier tombe près de lui. Il fait un grand sourire à sa voisine qui, elle, rougit d'embarras. Personne n'a remarqué Shou qui s'empare de l'antisèche et le rend gentiment à la voisine. Mais elle n'est pas idiote. Elle sait qu'il n'en restera pas là. Sa discrétion et son silence, forcément, ont un prix. Son prix. Toujours.

Sa devine n'est autre que "donnant-donnant". Il est gentil parce qu'il y a un intérêt à l'être. Et il peut avoir quelque chose en échange. Shou est ce genre de personne à laquelle on glisse un billet pour éviter la diffusion d'une information embarrassante, ou à laquelle on offre un gâteau si on veut une bonne réponse à un devoir. Son prix dépend de son humeur et de l'estime qu'il a des autres. Il n'a aucune honte quant à ce qu'il fait et qui il est. Essayez de le coincer, et non seulement il se moquera bien des blessures ou des rumeurs que vous pourriez lancer à son sujet, mais en plus il trouvera forcément moyen de vous pourrir par la suite. Car le brun est revanchard, et n'oublie pas un visage.

Il a une mémoire d'éléphant, ce qui l'aide beaucoup pour ses études, mais aussi pour son petit travail d'informateur. Il y a de fortes chances qu'il connaisse non seulement votre nom, mais sache aussi quelques trucs sur vous. Votre numéro est sans doute quelque part dans son repertoire - "au cas où" dirait-il. Du coup, il est assez bien entouré. Souvent de parasites, quelques fois d'amis. Mais cela lui convient très bien, puisqu'il déteste être seul.

S'il est discret, il peut se montrer loquace, faisant attention aux informations qui sortent de sa bouche. Parfois il dit des banalités, d'autres fois il tourne un peu autour du pot pour attiser la curiosité d'autrui, lui délivrer un détail intéressant moyennant une petite récompense. Ce n'est pas tant l'argent qui lui plaît dans tout ça, mais plutôt le sentiment de dépendance que certains peuvent ressentir pour lui, lui qui s'attache si difficilement.

Car oui, Shou est assez insaisissable. S'il fait quelque chose, c'est qu'il en a envie, qu'il y trouve son compte. On ne lui fera jamais faire quelque chose qui l'ennuie, et suivre des ordres n'est pas son fort. Il semble indépendant, bien qu'il ait besoin de la présence des autres. Il a de l'imagination, et de la sensibilité malgré tout. Shou ne le montre pas, car il estime simplement que ses amis ont droit d'en savoir plus sur lui que les sangsues qui l'entourent.

Garçon poli, souriant, joyeux en général, il apprécie le confort mais déteste les surprises et être déstabilisé. Il a besoin de garder un certain contrôle sur ce qui l'entoure, par sécurité. Qu'on le prenne au dépourvu, et selon les situations, il se fâchera ou se mettra à bégayer. Là encore, vengeance oblige par la suite. Il a de la patience et supporte les moqueries gratuites, jusqu'à ce que ça le gonfle. Une fois. Deux fois. Et bang, dans ta g... ahem. Bref, vous cernez un peu le personnage.

Un après-midi de juillet, à Kofu. Non pas accoudé, mais bel et bien affalé sur l'encadrement d'une fenêtre ouverte, Shou promenait son regard sur les passants, les ombres dansantes au sol, les silhouettes se dessinant derrière les vitres de l'immeuble d'en face. Il regrettait de ne pas avoir pris ses lunettes de soleil, l'astre du jour lui brûlant les yeux, entachait sa vue. Il plissa les yeux, soupirant d'ennui. Rien de bien intéressant ne se déroulait, c'était quand même bien dommage. Lui qui trouvait son compte dans n'importe quel petit détail du paysage, ou même dans les mails qu'il recevait, aujourd'hui était d'un calme plat. Des pas poussèrent cependant Shou à caresser l'espoir de voir la tendance changer.

« Salut, tu vas bien ? »

C'était Mori, une kouhai. Un an de moins que Shou, légèrement trop directe et sans-gêne sur les bords. Question mentalité, elle se rapprochait plus de l'américaine que de la japonaise typique ; pourtant elle n'avait jamais visité un lieu étranger à l'immense archipel. Shou l'aimait bien, en bonne partie pour son côté sans-gêne. C'était effectivement grâce à cette partie du caractère de Mori qu'ils s'étaient parlés et revus régulièrement. Elle l'aimait bien de loin, elle l'avait approché pour voir, et finalement ils s'étaient bien entendus. Point. Mori avait d'ailleurs cette particularité de poser des questions inattendues, d'offrir au brun de nouvelles méditations. Ou un bon fou rire, au choix.

« Pas trop dur, l'interro d'aujourd'hui ? »

Bon, vu la tournure banale de la discution, Shou n'en tirerait rien de particulier cette fois-ci. Légèrement déçu, il ferma les paupières et émit un sourd grognement, signifiant primitivement qu'il n'avait pas envie de parler d'interrogations écrites.

« Qu'est-ce que t'as, t'es amoureux ? »

Tiens, une "question sans-gêne", posée presque sans tact. Amusé, Shou fit naître un petit sourire sur son visage ainsi qu'un bref rire étouffé. Non, il n'était pas amoureux, il s'ennuyait à mourir.

« Qu'est-ce que tu fais ici, Mori-chan ? Je pensais que tu passerais la pause avec tes amies. »
« J'avais envie de te voir. Tu trouves ça bizarre ? »
« Non non, c'est gentil de ta part... »

Nouveau silence verbal. Un son de klaxon, puissant, s'élança d'une rue voisine. Si certains s'ennuyaient, d'autres n'en avaient apparemment pas le temps.

« Ça me rappelle mon père, tu sais. C'est un sacré nerveux en voiture, faut surtout pas l'embêter quand il conduit. C'est limite si ma mère, ma sœur et moi avons le droit de respirer. Il est pourtant assez cool sinon, tant qu'on ne l'énerve pas. J'ose pas imaginer les crises de nerfs qu'il a dû avoir quand on étaient encore des mouflets de moins de deux ans, à pleurnicher quand on avait faim ou mal, quand on faisait des colères.

Ma mère disait qu'il n'avait pas été tendre avec nous à cette époque ; quoique, un peu plus avec Eri qu'avec moi, puisqu'elle était une petite fille toute fragile. Ça me fait doucement rire quand je sais qu'aujourd'hui, à quatorze ans, elle envisage sérieusement une carrière de boxe. Le pire, c'est qu'elle pourrait ! Avec son caractère et ses compétences, elle pourrait. Tant qu'elle bosse pour son club de boxe, elle est contente, et dis "amen" au reste. Moi ça a été l'inverse. Mon père a voulu me matter gamin, ça me fichait la trouille donc je me tenais à carreau à l'époque. Et finalement, aujourd'hui, il peut toujours courir s'il veut que je fasse quelque chose qui m'intéresse pas. C'est un peu tendu entre lui et moi en ce moment, il prétend que c'est mon âge, que "quinze ans, c'est l'âge bête", que "ça me passera". »
« Il veut que tu fasses quoi par exemple ? »
« Un exemple lambda ; ranger ma chambre. Mais je m'y retrouve, elle est organisée, même si pour lui elle est simplement en désordre. Ça t'intéresse vraiment tout ça ? »

Ses prunelles noires étaient concentrées sur ses lèvres, un peu trop au goût de Shou qui en était surpris. Il enfouit alors la moitié inférieure de son visage dans la paume de sa main gauche, accoudé normalement à la fenêtre cette fois, de manière à ce que Mori se sente obligée de regarder autre chose. Mais son discours sur l'enfance ne l'étonnait et ne la dérangeait pas. Elle aimait bien satisfaire sa curiosité, et Shou parlait peu de lui. C'était une attitude inhabituelle de sa part, mais elle comptait bien en profiter en ouvrant grand ses oreilles, à la façon d'une jeune fille admirative.

[U.C.]